Claudia Carlisky - Leb - Le seuil - Le livre
Zeno Bianu - Trois exorcismes -
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Zéno Bianu
Le désespoir n'existe pas Zeno Bianu - Trois exorcismes -
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Zéno Bianu
2010
Poème des degrés
(Kaddish pour Paul Celan)
Fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
Paul Celan
Fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
du premier au dernier souffle
la parole ne t'appartient pas
blessure
blessure
d'un dieu en exil
tu parles
avec le sang de la voix la plus vive
de la voix contre la mort
de la voix pour vider les ténèbres
tu parles
en l'infini parlant
éclosion amoureuse
éclosion perpétuelle
tu parles
jusqu'au bonheur de l'opaque
jusqu'à la force de l'énigme
jsuqu'aux larmes internes
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
comme si l'on ne pouvait
éclairer l'autre
que par sa propre obscurité
tu viens réveiller
notre chair de souffle
mettre au jour
le verbe ouvert
au fond des infinis
t'enfoncer
dans la chair de la langue
la désenfouir
comme une offrande
avaler
ses bouchées de silence
viens dire
ce qui nous laisse sans voix
parleur de silence
viens
gravir d'autres étés
capter le monde
comme une pentecôte continue
viens chercher
les amandes
viens chercher les lucioles
dans la nuit des mots
dans la nuit des morts
parle
au coeur de cette brèche
où nous saisit le souffle blanc
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
viens dire et redire
le la
d'un corps vide et lumineux
qui marche au coin des rues
qui marche au coin des mots
capter toutes les spirales
du vertige
du vertige
par-dedans
au vif du feu
dans le bois sec
au plus intime du séisme
dans le silence tremblé
de ta stupeur
à l'écoute
du big bang incessant
de la parole
viens
rassembler
convoquer le monde entier
à l'intérieur d'un seul mot
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
n'importe qui
met son âme aux enchères
sur des écrans flottants
mais tu avances
avec ce qui voit en nous
un secret d'errances
l'inouï du chant
malgré
les vents de cendres sur la neige
un oracle
dans la forêt des morts
dans la forêt des morts
mais tu avances
innombrable et nu
inlassablement fidèle
à ton égarement
tu avances au coeur de la voix
vivante et vive
tu aimes
tu sèmes
tous tes mots de passe
tu es
Celui-Qui-N'a-Plus-Rien
La-Grammaire-Des-Fardeaux
Le-Cueilleur-De-Pulpes
tu es
Le-Résigné-Peuplé-D'oiseaux
L'Etoile-Des-Perditions
Le-Centre-Des-Douleurs-Pétrifiées
tu es
Le-Vif-Du-Vent-Du-Visage
Le-Vent-Du-Visage-De-La-Voix
La-Voix-Du-Visage-De-La-Vie
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
elle collecte les étincelles
elle dit tous les souffles
de ta chambre-monde
là où tu écoutes sans relâche
ce que dit Rabbi Nahman
choisis-toi un verset
choisis-toi un verset
oui choisis-le pour nous
lis-le bien
lis-le bien
Lis-le plusiseurs fois
encore et encore
martèles-en la porte
jusqu'à ce qu'elle s'ouvre pour toi
alors ton souffle
s'habille de toutes les voix
alors
il s'habille de toutes les âmes
car l'âme c'est le souffle
rien d'autre
c'est le passage parlé en nous
l'ouverture régénérante
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
là où ton écriture
s'ouvre en danse mystérieuse
là où elle devient
la matière de ton esprit
là où tu fais voir
quelque chose de plus vif
quelque chose
de plus vivant que nous
là où ton écriture
est une traversée de tournesols
une résonance
des commencements du monde
là où elle réactive
où elle respire en spirale
où elle descend
loin dans la lumière
et parce que tu descends
tu avances
et parce que tu descends
tu t'enfonces
dans ton absolue singularité
tu avances
pour rejoindre l'autre
en devenant sans fin ce que tu es
tu avances
parmi les vitraux des rumeurs
les souvenirs en coups de hache
l'effondrement des temps
tu avances
dans l'étrangeté même de la langue
pas seulement
pour lui tordre le cou
mais pour la considérer
comme une science de l'excès
un exercice
de transfiguration
tu avances
pour blanchir les coeurs noircis
ton nom et ta main
écoutent la bouche du coeur
ton nom et ta main
s'allongent dans la fin de l'été
ton nom et ta main
fusent comme une balle tirée sous la pluie
ton nom et ta main
cherchent les amandes qui rêvent
celles de l'amandier intérieur
celles de l'amandier
qui étend le ciel en nous
celles de l'amandier-vent de nuit
une vaste étendue d'écriture
que personne n'a encore foulée
voilà le prodige
le prodige
de chaque nouveau matin
voilà un inventaire de résistance
bris de vent bruyère des marais
heure vide jour des morts
oeil vers le ciel pour baiser d'infini
couteau du coeur pour nuages d'été
porte du matin étoile qui rampe
lèvres éboulis chiffre de minuit
voilà la voix dans laquelle
tu puises à boire
d'instant en instant
tu deviens chacun d'entre nous
tu dis
nos âmes se dispersent en flocons
tu dis
nous ne rêvons plus à la vie complète
tu dis
reprenons le delta à la source
tu dis
notre feu n'st plus fauve
tu dis
envahissons l'avenir
alors nous t'écoutons
nous t'écoutons
parce que les amants dorment dans ta bouche
parce que les amants tournent
jusqu'à refaire le jour
parce que les amants frottent le monde
avec le chant des morts
frottent le monde
avec leurs mots invisibles
nous t'écoutons
dans ton entêtement à écrire
encore et toujours
après même le dernier vers
du dernier livre
quand tes mots
prennent un goût de figue métallique
nous t'écoutons
en remontant la nuit
nous t'écoutons
et nous voyons le mouvement
de chaque ombre
de chaque pensée
de chaque émotion
nous t'écoutons
parce que tu t'écartes du courant
parce que tu t'écartes du courant
parce que tu traverses
l'infine première fois
parce qu'il y a dans tes mots
quelque chose d'immortel
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
sur la ligne de fond
des bords de précipices
où nous naissons vraiment
dans la buée
et le parfum des immenses nuits
où chaque naufrage
nous rend plus vivants
tes poignées de mots
sont des poignées de terre
des poignées de terre et de main
une façon de dénaître
et de renaître
des sourires aérés d'angoisse
des frôlements de non-réponse
des rumeurs de pas dans la nuque
puis soudain
des collages d'infinie jeunesse
puis soudain
un corps-espace foisonnant
puis soudain
le scarabée dans la fougère
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
la pluie chante
étrangement
jusqu'aux contreforts du coeur
le choeur
des ombres englouties
le choeur des ombres
debout sur la carte du monde
des ombres qui ont perdu
leur chemin
des ombres
qui ont perdu leur voix
des ombres qui ne savent plus
escalader le ciel
des ombres avec des tessons sur la langue
il fait un temps de fièvre et d'orties
qu'elles disent
le coeur livré aux intempéries
le coeur
fatigué de mourir
fatigué de puiser
à la pénombre
on en voit même plus l'enfer
qu'elles disent
des ombres aux pupilles immenses
cernées d'enluminures
piquetées de grains d'espoir
qui voudraient encore
dévaler vers la vie
viendras-tu viendras-tu
lumière qui nage
loin, bien loin des tanières
couleur d'amnésie
ou d'eau profonde
des tanières
ouvertes par la nuit
dans la fuite lente des mots
des ombres
qui ne veulent plus
neiger sur leurs pas
des ombres que nulle main
ne conduit plus
vers le toucher du temps
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
un bandeau aveugle l'horizon
les nuages vont éclater
partout
on s'inquiète de toi
cependant
que tu répètes les psaumes
cependant que tu les fracasses
avec une tendresse vibrante
pour ouvrir les portes de l'âme
cependant que
tu les démantèles
pour ouvrir les portes du ciel
partout on s'inquière de toi
de cette nuit de poison noir
qui coupe la parole
de ces fleurs de cendre
qui font dormir les noms
le nom de l'amour
le nom de la vie
le nom des racines
dans la buée
et le parfum des immenses nuits
où chaque naufrage
nous rend plus vivants
tes poignées de mots
sont des poignées de terre
des poignées de terre et de main
une façon de dénaître
et de renaître
des sourires aérés d'angoisse
des frôlements de non-réponse
des rumeurs de pas dans la nuque
puis soudain
des collages d'infinie jeunesse
puis soudain
un corps-espace foisonnant
puis soudain
le scarabée dans la fougère
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
la pluie chante
étrangement
jusqu'aux contreforts du coeur
le choeur
des ombres englouties
le choeur des ombres
debout sur la carte du monde
des ombres qui ont perdu
leur chemin
des ombres
qui ont perdu leur voix
des ombres qui ne savent plus
escalader le ciel
des ombres avec des tessons sur la langue
il fait un temps de fièvre et d'orties
qu'elles disent
le coeur livré aux intempéries
le coeur
fatigué de mourir
fatigué de puiser
à la pénombre
on en voit même plus l'enfer
qu'elles disent
des ombres aux pupilles immenses
cernées d'enluminures
piquetées de grains d'espoir
qui voudraient encore
dévaler vers la vie
viendras-tu viendras-tu
lumière qui nage
loin, bien loin des tanières
couleur d'amnésie
ou d'eau profonde
des tanières
ouvertes par la nuit
dans la fuite lente des mots
des ombres
qui ne veulent plus
neiger sur leurs pas
des ombres que nulle main
ne conduit plus
vers le toucher du temps
fais sauter les cales de lumière
la parole flottante est au crépuscule
un bandeau aveugle l'horizon
les nuages vont éclater
partout
on s'inquiète de toi
cependant
que tu répètes les psaumes
cependant que tu les fracasses
avec une tendresse vibrante
pour ouvrir les portes de l'âme
cependant que
tu les démantèles
pour ouvrir les portes du ciel
partout on s'inquière de toi
de cette nuit de poison noir
qui coupe la parole
de ces fleurs de cendre
qui font dormir les noms
le nom de l'amour
le nom de la vie
le nom des racines
viens
viens
il est temps
viens
avec tes veines ouvertes
en jeunes éclairs
viens
faire courir les enfants
viens faire entendre
le signe des signes
tout près tout près
par-delà ce qui fut
et ce qui sera
oui
viens renverser le souffle
vers nous vers nous
viens prononcer
la bénédiction
la rose de personne est sans pourquoi
la rose de personne est sans pourquoi
la rose de personne est sans pourquoi
Zéno Bianu
Le désespoir n'existe pas
2010
ELOGE DU SOUFFLEUR
(pour John Coltrane)
Je pars d'un point
et je vais le plus loin possible
au plus loin des possibles
je prends une note
et je la transforme
en colonne sans fin
sans relâche et sans fin
je ménage des ouvertures
dans la peau du monde
des irruptions de jardins clos
des baies vitrées
dans la chair même du son
je joue des notes comme je les vois
je n'invente rien
je fais apparaître
les désordres fluides du vivant
les marbres tremblés du temps
jusqu'à resplendir
jusqu'à m'accorder
au mouvement perpétuel de la lumière
oui
j'attends que la lumière
se pose sur mes notes
comme un amant
comme un aimant
comme l'aimant des apparitions
là où tout palpite
au fond de l'infiniment sensible
où l'identité n'est
plus qu'un vacillement
pourquoi moi pourquoi toi
toutes les aubes viennent à ma bouche
toutes les aubes
respectent l'ar-en-ciel
je suis un argonaute du souffle
je pars d'un point
et je vais toujours plus loin
j'avance le long de ma ligne de coeur
un peu Orphée un peu Faust
je passe à trvaers tous les cercles
naissances morts renaissances
s'en vont s'en reviennent
à chaque seconde de chaque solo
je traverse mille frontières
pour une liberté enfin déliée
pour un surcroît de bienveillance
j'absorbe tout
au velours de la vraie vie
au velours de la vraie nuit
j'accepte le chaos
dès lors qu'il apaise
dès lors qu'il irise
dès lors qu'il flamboie
je n'aime pas la redite
mais l'obsession
je métamorphose
je tourbillon
je vortex
je voudrais me réveiller
dans chacun de vos rêves
je voudrais vous faire entendre
les grands territoires de la solitude
chacune de mes notes met un mot
sur votre mélancolie
un mot un seul
un mot d'orage éblouissant
un mot minéral
un mot volcanique
en plein coeur du monde et
out of this world
écoutez-moi
j'ouvre un espace
j'ouvre l'espace même
mes trilles ont le pouvoir
d'effacer tous les maux
je suis un ange viril
je pars d'un point
mais quel est ce je
qui part d'un point
mon je n'est pas un je
c'est un vrai jeu un grand jeu
un je qui joue qui noue et dénoue
un je-nous un je-monde
un je immensément collectif
inconditionnel
un je qui n'est que musique
je suis une pensée qui chante
inexorable
une pensée sonore
qui ne cesse de s'élever
une pensée qui sature votre coeur
d'une douceur rugueuse
une pensée qui bruit à chaque instant
n'attendez pas de mourir
pour écouter vraiment vos étoiles internes
n'attendez pas de mourir
pour donner naissance
au meilleur de vous-même
mille roses ouvertes dans le vide
a love supreme
un amour à jamais suprême
pour parler directement
à la constellation des âmes
reconnaissance
accomplissement
voilà tout le baume de ma véhémence
je suis un ascendant de ces hauteurs
où pense la lumière
tout n'était que son
et j'étais au milieu du son
jamais je n'ai joué
sans tout donner
jamais je n'ai joué sans vous aimer
je suis le sourire du déluge
Paul Eluard
Dominique aujourd'hui présente
Toutes les choses au hasard
Tous les mots dits sans y penser
Et qui sont pris comme ils sont dits
Et nul n'y perd et nul n'y gagne
Les sentiments à la dérive
Et l'effort le plus quotidien
Le vague souvenir des songes
L'avenir en butte à demain
Les mots coincés dans un enfer
De roues usées de lignes mortes
Les choses grises et semblables
Les hommes tournant dans le vent
Muscles voyants squelette intime
Et la vapeur des sentiments
Le coeur réglé comme un cercueil
Les espoirs réduits à néant
Tu es venue l'après-midi crevait la terre
Et la terre et les hommes ont changé de sens
Et je me suis trouvé réglé comme un aimant
Réglé comme une vigne
A l'infini notre chemin le but des autres
Des abeilles volaient futures de leur miel
Et j'ai multiplié mes désirs de lumière
Pour en comprendre la raison
Tu es venue j'étais très triste j'ai dit oui
C'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde
Petite fille je t'aimais comme un garcon
Ne peut aimer que son enfance
Avec la force d'un passé très loin très pur
Avec le feu d'une chanson sans fausse note
La pierre intacte et le courant furtif du sang
Dans la gorge et les lèvres
Tu es venue le voeu de vivre avait un corps
Il creusait la nuit lourde il caressait les ombres
Pour dissoudre leur boue et fondre leurs glacons
Comme un oeil qui voit clair
L'herbe fine figeait le vol des hirondelles
Et l'automne pesait dans le sac des ténèbres
Tu es venue les rives libéraient le fleuve
Pour le mener jusqu'à la mer
Tu es venue plus haute au fond de ma douleur
Que l'arbre séparé de la forêt sans air
Et le cri du chagrin du doute s'est brisé
Devant le jour de notre amour
Gloire l'ombre et la honte ont cédé au soleil
Le poids s'est allégé le fardeau s'est fait rire
Gloire le souterrain est devenu sommet
La misère s'est effacée
La place d'habitude où je m'abêtissais
Le couloir sans réveil l'impasse et la fatigue
Se sont mis à briller d'un feu battant des mains
L'éternité s'est dépliée
O toi mon agitée et ma calme pensée
Mon silence sonore et mon écho secret
Mon aveugle voyante et ma vue dépassée
Je n'ai plus eu que ta présence
Tu m'as couvert de ta confiance.
- 1950 -
Ce poème provient du recueil intitulé " Le phénix "